N°31. Le romanesque dans l’épique

Publié le 1 juillet 2013 Mis à jour le 1 juillet 2013
La notion d'épopée et celle, plus large encore, d'épique, sont parmi les plus imprécises de la littérature. Selon la conception romantique, l'épique serait la forme originelle de la production de l'imaginaire dans beaucoup de civilisations. Mais l'épopée s'épanouit tout autant au coeur même de l'écriture et par conséquent de ce qu'il est convenu d'appeler « littérature », avec tout ce que celle-ci implique d'élaboration rhétorique, de calcul des effets, de maturation artistique: de Virgile, Lucain ou Stace jusqu'à l'Arioste, Milton, ou Hugo, en passant par Ronsard, d'Aubigné, Voltaire ou Creuzé de Lesser, la liste est longue, et la plus ancienne épopée connue, le Gilgamesh sumérien, appartient paradoxalement à cette catégorie.

Du point de vue du sens, l'épique s'affirme comme porteur d'une vérité historique, il est lié à la célébration d'un événement qui fut utile à la collectivité, et cette célébration contribue elle-même à cimenter à nouveau cette collectivité dans le présent. Le romanesque s'affirme au contraire comme pure fiction et ne cherche sa vérité qu'au plan psychologique ou sociologique. L'épique est inséparable de la création continuée de valeurs, tandis que le romanesque en tant que tel (qu'il faut distinguer ici du roman comme forme ouverte) est indifférent au système de valeurs et se veut créateur de rêve et de plaisir. En dépit de cet écart entre l'épique et le romanesque, des interférences nombreuses peuvent être constatées dans l'ensemble de la tradition épique européenne.

Quel est l'effet de ces interférences ? Faut-il y voir le constat d'une insuffisance de l'épique ? L'intrusion du romanesque signifie-t-elle, implique-t-elle, un changement de fonction de l'épopée dans la société qui la reçoit ? Faut-il y voir une sorte de loi de l'évolution du genre épique, une loi qui se répéterait, à un moment donné de leur histoire, dans les différentes civilisations qui le pratiquent ? Le romanesque est-il un élément dissolvant, ou bien constitue-t-il un enrichissement de l'épique ? L'intrusion d'un plaisir d'un type nouveau, qui n'est pas le plaisir procuré par le sublime, dénote du moins un changement d'esthétique dont il nous appartient aujourd'hui de mesurer l'ampleur, la nature et la signification, en particulier au regard des rapports entre poétique et société. La large perspective diachronique du présent volume contribue à démêler cet écheveau.

Mis à jour le 01 juillet 2013