En 1862, Fiodor Dostoïevski réalise son premier voyage en Europe occidentale et se rend à Londres au moment de l’Exposition universelle. Le Crystal Palace de Joseph Paxton, construit à Hyde Park pour l’Exposition précédente, en 1851 (déplacé sur Sydenham Hill depuis) est toujours visible. L’auteur russe est saisi d’une réelle sidération, face au gigantesque monument de verre et de fonte de l’architecte britannique. Les notes de voyage de Dostoïevski attestent de cette réception particulière, car d’emblée politique. Mais c’est dans un ouvrage de fiction publié en 1864, Les Carnets du sous-sol, que cette expérience architecturale décisive prend la forme d’un motif littéraire. Ce monologue enfiévré qui vilipende son siècle, à son tour architecture - mais souterraine et poétique cette fois-ci - est une construction originale, échafaudée par un auteur aux influences slavophiles pour répondre à une modernité politique et économique venue d’Europe occidentale qu’il abhorre, notamment parce qu’elle produit, selon lui, la fiction d’un monde transparent, une cage de verre recouvrant comme une cloche un espace rationalisé.
Margot Buvat est professeure de Lettres Modernes, doctorante contractuelle, monitrice en Littérature Comparée à l’Université Bordeaux Montaigne, au sein de l’équipe de recherche TELEM (Textes, Littératures : Écritures et Modèles). Sa thèse, dirigée par Isabelle Poulin porte sur les formes et les architectures poétiques de la promiscuité urbaine et tente de brosser l’esquisse d’une poétique européenne de la vie vivante dans les oeuvres de Baudelaire et Dostoïevski.