L’époque ouverte par le siècle de la modernité (le 19ème siècle) est le théâtre de deux évolutions majeures : d’une part la constitution de notre actuelle culture multi-médiale commencée avec l’imprimé et l’illustration graphique, continuée par la photographie, le cinéma, les médias audiovisuels et enfin la communication numérique) ; d’autre part, l’élaboration progressive de cet art du rire qui est fait aussi bien de textes (poèmes, fictions, « chroniques ») que d’images, de performances ou des productions les plus diverses. Ce constat conduit à une interprétation qui doit être placée sous un triple éclairage historique : 1/ l’âge classique avait vu l’émergence d’unespace public littéraire qui, voué à la discussion sérieuse et préparant lavoie au débat politique, apparaît comme la matrice de nos démocraties parlementaires. Mais tout se passe comme si, depuis deux siècles, le rire, sous ses multiples formes (ironiques, parodiques, satiriques, farcesques), avait envahi l’espace public et était devenu, dans nos sociétés médiatiques, le mode universel de communication et d’expression. 2/ Cet environnement explique que le rire se retrouve depuis le 19èmesiècle impliqué, à des degrés divers et de manière plus ou moins visible, dans la plupart des grandes innovations esthétiques (en art comme en littérature). 3/ Le rire implique la connivence culturelle entre les rieurs et repose toujours sur un processus de régression vers le passé (individuel ou collectif) ; structurellement, le rire impose le recyclage et la réinterprétation des traditions comiques les plus anciennes. Toute reprise et toute imitation s’accompagnant, peu ou prou, d’un geste parodique, nous faisons donc l’hypothèse que cette culture du rire est l’un des instruments principaux qui permet à nos sociétés, entraînées dans des mutations de plus en plus rapides, brutales et imprévisibles, de se les assimiler par l’action critique de ce rire collectif et par le lien constamment maintenu avec son passé. Bien sûr, cette hypothèse postule que le rire n’est pas une composante accessoire de la culture – comme on le représente encore souvent –, mais un fait anthropologique capital, auquel nos cultures médiatiques modernes donnent une force et une actualité particulières. En effet, dans la mesure où le rire découle par définition de l’acte même de représentation (et de la conscience que le rieur en a, par le décalage entre le réel et son image mentale), tout mécanisme médiatique comporte structurellement une virtualité comique qu’il peut actualiser ou non selon les circonstances, dans une visée satirique, artistique, auto-parodique ou simplement ludique. Concrètement, ce vaste chantier de recherche, qui s’inscrit dans un programme pluriannuel (2015-2018) et que le séminaire 2016 commencera à baliser, partira d’une analyse historique (articulant l’histoire des formes et l’histoire des pratiques culturelles) de la littérature du rire et de la caricature,en relation avec l’émergence de la presse moderne et de la culture médiatique. Il s’attachera à ses transformations dans l’univers du spectacle (le théâtre, mais aussi le music-hall et le cirque), puis à l’ère de la photographie et du cinéma. Il repèrera ses interférences avec la culture sérielle et massifiée de la fin du XIXe et des XXe-XIXe siècles. Il s’interrogera sur les ruptures ou, au contraire, les permanences de l’art du rire dans les productions des médias numériques contemporains. Il engagera enfin une réflexion épistémologique et disciplinaire, aussi bien du point de vue littéraire que dans une perspective historiographique.
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